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Les aspects juridiques de la protection de l’environnement de la mer Caspienne Dr. Abbas POORHASHEMI


  1. Après l’éclatement de l’Union des républiques socialistes soviétiques, la Caspienne, le plus grand lac de la planète est devenue le centre d’un débat régional, voire international. L’émergence de nouveaux Étatsriverains de la mer Caspienne dans la société internationale pose le problème du statut juridique de cette zone. Depuis plusieurs années, le statut juridique de la mer Caspienne était défini par les traités de 1921 et celui de 1940, signés par les deux Étatsriverains , l’Union Soviétique et la Perse, puis l’Iran. Mais, l’émergence de nouveaux États riverains de la mer Caspienne – l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan et le Turkménistan – et, en particulier, après la connaissance des possibilités d’une exploitation offshore des ressources pétrolières importantes a mis en question ce statu quo.

L’incertitude du régime juridique de la mer Caspienne et les préoccupations et négociations entres les États concernés pour la délimitation des ressources naturelles ont obéré la priorité de protection de l’environnement de la mer Caspienne.

  1. La richesse de la mer Caspienne en faune et en flore constitue un écosystème unique. Les milieux aquatiques de la mer Caspienne constituent une ressource naturelle riche de poissons, d’oiseaux et de milieux vivant. En même temps, elle est sur le plan environnemental une région très vulnérable.
  2. Elle est vulnérable sur le plan écologique et environnemental, parce que, tout d’abord, la révélation des ressources pétrolières dans cette région et une exploitation de ces ressources vers marché régional et mondial sont devenues rapidement des causes majeures de pollution marine. En fait, la production d’hydrocarbures, le transport, la transformation et la consommation sont en général les quatre phases essentielles susceptibles d’entraîner des pollutions maritimes.

Par ailleurs, les ressources biologiques marines de la mer Caspienne sont en voie de disparition. En effet, les pratiques non autorisées, telles que le braconnage et les pêches illicites, le trafic et la pêche intensive, font peser un danger important sur la biodiversité et les réserves halieutiques de la mer Caspienne.

  1. La lutte contre la pollution marine et la conservation de la vie sauvage apparaissent aujourd’hui comme un domaine important du droit international de l’environnement, ce droit qui est constitué par l’ensemble des règles juridiques internationales obligatoires et non obligatoires. A. Kiss et J-P. Beurier ont démontré que l’objectif du droit international de l’environnement est de protéger la biosphère contre les détériorations majeures et les déséquilibres qui pourraient en perturber le fonctionnement normal.
  2. En ce qui concerne la protection de l’environnement de la mer Caspienne, le droit international joue un rôle de plus en plus significatif en la matière, mais quant à la question du statut juridique de cette étendue d’eau.
  3. Le droit international de l’environnement, comme le droit international général, est un droit évolutif. Il s’est développé essentiellement depuis la Déclaration de Stockholm en 1972, après l’apparition des traités, des conventions régionales et internationales juridiquement obligatoires et l’émergence de nombreuses recommandations, déclarations et programmes d’action juridiquement non obligatoires.
  4. En l’état actuel du droit international de l’environnement, en tant qu’une nouvelle branche du droit international, certains aspects et quelques secteurs de la biosphère sont considérés comme une zone à préserver et à protéger par des dispositions diverses. On peut noter par exemple la pollution marine, la protection des sols et de la forêt, la pollution atmosphérique.
  5. En revanche, en ce qui concerne la protection des lacs internationaux, il n’existe pas à l’heure actuelle, une réglementation internationale générale dans ce domaine. Mais l’évolution importante du droit international de l’environnement conduit d’ailleurs aujourd’hui à l’apparition de normes internationales applicables aux lacs internationaux. Cette évolution est également marquée, sur le plan international, par quelques conventions globales dans ce domaine, comme par exemple la Convention de New York de 1997 sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation .
  6. Pour toutes ces raisons, on peut estimer que « les aspects juridiques de la protection de l’environnement de la mer Caspienne » constituent un sujet à la fois très diversifié et important. C’est un sujet très diversifié, parce que le statut juridique de cette zone marine n’est pas encore défini et la question se pose de savoir sur le plan juridique et en termes de droit international, si la Caspienne est une mer ou un lac. Mais, en même temps, c’est un sujet important parce que l’environnement et l’écosystème de la mer Caspienne sont menacés par de nombreux problèmes et pollutions. Il semble nécessaire toutefois de trouver des dispositions du droit international de l’environnent et d’autres dispositions du droit international général qui pourraient être appliquées afin de protéger les ressources naturelles et l’environnement de la mer Caspienne.
  7. Une approche pluridisciplinaire semblait indispensable pour étudier les aspects juridiques de la protection de l’environnement de la mer Caspienne. Une telle approche nous a permis d’évoquer plusieurs volets du droit international tels que le droit des traités, de la succession d’États, de la mer, de la responsabilité, des organisations internationales et essentiellement de l’environnement. En effet, la protection de l’environnement ne peut être considérée comme une branche indépendante du droit international, dans la mesure où la protection d’un espace international mérite une intervention et une implication de plusieurs acteurs régionaux et internationaux. Dans ce contexte, en se fondant sur une approche pluridisciplinaire, quelques conclusions s’imposent.
  8. Le changement politique et géopolitique de la région basé sur la fin de la Guerre froide, la disparition de l’URSS, l’émergence de nouveaux Étatssur la scène internationale et le changement de la situation économique et écologique après la découverte massive des hydrocarbures, leur exploitation et leur acheminement vers le marché mondial, implique un débat sur la redéfinition du statut juridique de la mer Caspienne. La redéfinition de son statut juridique est nécessaire, non seulement pour l’exploitation et l’utilisation de ses ressources naturelles et minérales, mais également pour l’application et l’effectivité des règles du droit international de l’environnement.

En effet, la détermination des frontières est indispensable pour le droit international de l’environnement. Une telle délimitation permet une définition du champ d’application géographique de ce droit. En réalité, le cadre géographique correspond à des choix éminemment politiques des relations entre les États riverains, de l’équilibre entre les différentes utilisations du territoire, et de l’exercice des souverainetés des États riverains sur la ressource en eau d’un lac international. Dans cette perspective, les questions de souveraineté et de souveraineté permanente sur les ressources naturelles partagées entre deux ou plusieurs États évoquent un aspect important du droit international de l’environnement .

Par ailleurs, la redéfinition du statut juridique et la délimitation des eaux territoriales des États bordant la mer Caspienne favorisent une coopération régionale entre les États riverains. Il est évident que le manque de coopération entre les États riverains dans la gestion transfrontalière de ressources partagées entraîne des difficultés, lorsqu’il s’agit de maîtriser la pollution et la surexploitation des ressources naturelles, facteurs principaux de la dégradation de l’environnement de la mer Caspienne.

Dans cette perspective, conformément à la Charte des Nations Unies[1] et aux principes du droit international et du droit international de l’environnement, les États riverains de la mer Caspienne ont obligation (primaire et secondaire) de protéger son environnement.

  1. Le droit de la responsabilité internationale pour fait internationalement illicite, en particulier, en ce qui concerne la protection de l’environnement commun, évoque certains principes obligatoires en tant qu’obligation primaire, comme le principe d’interdiction de causer un dommage transfrontière ou le principe de l’utilisation équitable et raisonnable du territoire. De plus, l’émergence du régime objectif de la responsabilité des Étatspour fait internationalement licite est une autre avancée historique vers la reconnaissance du droit des individus. En effet, la responsabilité objective a conduit les Étatsà la reconnaissance du principe « pollueur-payeur », principe à l’origine économique devenu un principe de droit positif.

13.Théoriquement, une régionalisation de la protection de l’environnement de la mer Caspienne n’est pas impossible. A cet égard, on peut constater la conclusion de la Convention-cadre de Téhéran de 2003 sur la protection de l’environnement marin qui présente potentiellement une coopération normative entre les États riverains de la mer Caspienne.

  1. Par ailleurs, l’institutionnalisation de la protection internationale de l’environnement offre un cadre de coordination internationale pour la gestion des assistances financières et techniques à la coopération régionale de manière permanente dans la région de la mer Caspienne. Une autonomie croissante de l’approche internationalisée peut être un signe d’efficacité de la protection internationale de l’environnement de la mer Caspienne.
  2. Dans cet ordre d’idées, peut-on envisager une internationalisation de la protection de l’environnement de la mer Caspienne, comme c’est le cas dans la protection internationale des droits de l’homme, notamment en ce qui concerne l’application des règles internationales et les techniques de contrôle ? A ce titre, est-ce que le droit international de l’environnement pourrait arriver à gérer les problèmes environnementaux à l’échelle mondiale, en s’appuyant sur un régime internationalement intégré de la protection de l’environnement, parallèlement à celle des droits de l’homme ? L’origine de cette proposition est fondée d’une part, sur la nécessité de la protection de l’environnement même si cette action est contraire à la volonté de certains Étatset, d’autre part, sur l’idée selon laquelle les fonctions environnementales (notamment en ce qui concerne la surveillance et le contrôle) nécessitent la création d’un organisme international du même genre que les Hauts Commissaires des Nations Unies pour les droits de l’homme et pour les réfugiés.

L’évolution normative et institutionnelle du droit international de l’environnement, inspirée notamment par les principes du développement durable et des responsabilités communes mais différenciées, confirme l’existence de cette tendance, même s’il faut attendre la nouvelle contribution au développement du droit international de l’environnement au cours du 21ème siècle.

De toute façon, les deux instruments juridiques internationaux concernant la protection des cours d’eau et des lacs internationaux : la Convention d’Helsinki de 1992 sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontière et des lacs internationaux[2] et la Convention de New York de 1997 sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation[3] sont décisifs en la matière, même si, à l’heure actuelle, il n’existe pas une réglementation internationale complète pour la protection de l’environnement en général, et la protection des lacs internationaux en particulier. Il est vrai qu’une harmonisation des règles du droit international de l’environnement peut offrir une plus grande efficacité pour la gestion et la protection internationale de l’environnement.

  1. En l’état actuel du droit international marqué par la mondialisation du droit et l’émergence d’un droit de la mondialisation, l’action de l’État, en tant que sujet principal du droit internationalest limitée à l’échelle globale. Deux phénomènes ont accentué cette limitation. D’une part, l’abandon de compétences exclusives au profit des organisations internationales intergouvernementales et des institutions interétatiques régionales. D’autre part, l’émergence de personnes privées (les organisations non gouvernementaleet les individus) sur la scène internationale a brisé la logique traditionnelle du droit international.

Dans ce contexte, il n’est pas trop tôt pour parler de l’existence de règles de Jus cogens en droit international de l’environnement, notamment en ce qui concerne les règles d’interdiction de causer un dommage transfrontière et l’utilisation équitable et raisonnable du territoire . En effet, la protection des certains éléments naturels, voire de la nature elle-même, est perçue de plus en plus comme une valeur juridique supérieure. On comprend alors que la Cour internationale de justice (CIJ) dans les affaires précitées a insisté clairement sur le fait que la protection de l’environnement et le principe de l’interdiction de causer des dommages transfrontières peuvent être considérées comme des valeurs juridiques supérieures. De même, l’émergence de la notion patrimoine naturel commun de l’humanité en droit international affirme l’existence une nouvelle conception de la nature juridique de protection de l’environnement.

On réalise maintenant à quel point la mer Caspienne peut être considérée comme un patrimoine naturel régional dont la conservation et la gestion doivent être garanties par les États riverains et leurs populations. Dès lors, les États ne devront plus se considérer comme propriétaires souverains, mais comme mandataires chargés de coordonner l’usage des ressources naturelles partagées d’une manière équitable et raisonnable dans l’intérêt présent et futur de l’humanité .

  1. Toutefois, une interdépendance entre la paix, le développement et l’environnement doit être prise en compte pour une protection effective et efficace de la mer Caspienne. Il a été démontré que l’implication de certains Étatsnon riverains de la mer Caspienne dans cette région constitue une menace pour la paix et la sécurité internationales. Ainsi, l’incertitude du régime juridique de la mer Caspienne favorise un contexte de désaccords entre les Étatsriverains. Pour cette raison, il faut que ces États s’efforcent de négocier activement afin de redéfinir son statut juridique et d’établir un cadre régional pour la protection de l’environnement de la mer Caspienne.

 

Références

  • Dupuy P.-M., « Droits des traités, codification et responsabilité internationale », AFDI, 1997, p. 7-30
  • Dupuy P.-M., « faute de l’Étatet « fait internationalement illicite » », Revue Droit, n° 5, 1987, p. 51-63
  • Dupuy P.-M., « Le droit international de l’environnement et la souveraineté des États: bilan et perspectives », in Académie de droit international, L’avenir du droit international de l’environnement, Colloque 1984, Nijhoff, Dordrecht/Boston, 1985, p. 38
  • Kiss A., « La participation du public aux processus de décision est-elle compatible avec le parlementarisme ? », Mel. Klébes, Kluwer, 1999
  • Kiss A., « La pollution du Rhin : suite (et fin ?) », AFDI, 1983, p. 774
  • Kiss A., « La protection de la mer dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (10 décembre 1982) », in Droit de l’environnement marin : développements récents, Actes du colloque organisé les 26 et 27 novembre 1987 à la faculté de droit et des sciences économiques de Brest, Paris, Economica, 1988, p. 24
  • Kiss A., « Les traités-cadres : une technique juridique caractéristique du droit international de l’environnement », AFDI, 1993, p. 793
  • Poorhashemi S.-A. « La mer Caspienne et le mécanisme régional pour la protection de L’environnement», Revue iranienne spécialisée Pegah, n° 65, 7 septembre 2002, p. 14

Voir aussi

Notes

  1. Aller↑Charte des Nations Unies, 26 juin 1945
  2. Aller↑Convention on the Protection of the Marine Environment of the Baltic Sea Area, 1992 (entered into force on 17 January 2000) (voir en français)
  3. Aller↑Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, A/RES/51/229, Adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 21 mai 1997. Non encore en vigueur.

 

Voir aussi:

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